Espoir ne signifie pas aveuglement. La rencontre qui s’est déroulée hier à Charm el-Cheikh, entre Mahmoud Abbas et Ariel Sharon, ne peut pas faire oublier le gouffre qui existe entre les positions israélienne et palestinienne concernant l’issue du conflit
Les questions majeures sont :
– les frontières de l’État palestinien,
– Jérusalem,
– et le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Ce n’est pas rien !
À ce titre, l’examen du passé conduit la direction palestinienne à un certain nombre d’exigences sans lesquelles il est fort à craindre que les blocages persistent et que les mêmes impasses se présentent sur le chemin de la paix. Comme le disait, hier, dans ces colonnes, Yasser Abed Rabbo : « Nous pensons également qu’il faut démarrer les négociations. C’est très important, car ce qui se passe en réalité, c’est qu’Israël tente de changer les conditions sur le terrain. Il faut donc négocier sur le statut final tout de suite. »
Deux idées fortes qui, selon qu’elles seront prises en compte ou abandonnées, préjugeront du résultat du conflit. Et pour faire valoir leur importance et leur prise en compte, l’Europe pourrait avoir un rôle capital à jouer. Au lieu de rester comme aujourd’hui à la remorque de l’Oncle Sam.
On se souvient que, lors de la signature des accords d’Oslo, en 1994, une période intérimaire avait été décidée qui devait durer cinq ans et donc se terminer le 4 mai 1999. Entre-temps, tout problème d’importance qui se posait était repoussé à la négociation finale. Ce fut par exemple le cas en juillet 1994 lorsque, dans le cadre des négociations entre la Jordanie et Israël, le souverain hachémite s’est vu reconnaître, par les Israéliens, le titre de « gardien des lieux saints » musulmans de Jérusalem, au grand dam des Palestiniens qui n’ont pas eu voix au chapitre.
C’est aussi pendant cette période intérimaire que la colonisation des territoires palestiniens s’est poursuivie.
La signature d’Oslo II, le 28 septembre 1995, n’avait strictement rien changé. Comme le fait remarquer Henry Laurens : « Toutes les difficultés du processus d’Oslo viennent de son contenu originel. Il était totalement déraisonnable de vouloir créer un climat de confiance tout en refusant de définir les conditions finales du règlement (...) La contradiction a été permanente, dans la stratégie israélienne, entre l’idée que les Palestiniens pourraient être amenés à sacrifier des éléments essentiels grâce à une amélioration considérable de leur bien-être, et une utilisation permanente de l’arme économique comme instrument de pression et de répression. Les bouclages périodiques et l’interdiction faite d’avoir un contact direct avec l’extérieur ont provoqué, inévitablement, une chute considérable du niveau de vie palestinien, allant totalement à l’encontre de l’hypothèse précédente » [1].
Toutes choses étant égales par ailleurs, on se retrouve aujourd’hui dans la même situation : la colonisation se poursuit, le mur dit de « défense » est en pleine construction.
L’attitude américaine est-elle nouvelle ? Peut-on voir dans les États-Unis l’élément clé pour que les Palestiniens retrouvent pleinement leurs droits ?
Le 24 juin 2002, George W. Bush déclarait : « Quand les Palestiniens auront de nouveaux dirigeants, de nouvelles institutions et de nouveaux règlements de sécurité avec leurs voisins, les États-Unis d’Amérique soutiendront la création d’un État palestinien, dont les frontières et certains aspects de sa souveraineté seront provisoires jusqu’à ce qu’ils soient intégrés dans une résolution finale au Proche-Orient. »
En clair, les Palestiniens ne pourront obtenir quelque chose que s’ils se conforment à ces préceptes, alors que le rapport de force est totalement en leur défaveur. Sinon, ils pourront toujours attendre.
Moins d’un an plus tard, le 28 février 2003, lors de son discours d’investiture en tant que premier ministre, Ariel Sharon soulignait : « Dans mes entretiens avec le président des États-Unis, George W. Bush (...), nous sommes parvenus à une entente en ce qui concerne les conditions nécessaires pour lancer un processus politique (...). Avant de retourner à un processus politique, l’Autorité palestinienne doit mettre fin à la terreur et à la provocation, mettre en oeuvre des réformes de grande ampleur, et remplacer son actuelle direction (...). Tout règlement politique obtenu à l’avenir doit garantir les intérêts historiques, de sécurité et stratégiques d’Israël, et avant tout, la renonciation à la revendication sans fondement du « droit au retour » (...). Par ailleurs, l’accord devrait inclure des zones de sécurité et des zones tampon, et préserver l’unité de la capitale d’Israël, Jérusalem. »
Pour Bush comme pour Sharon, l’obstacle principal à la paix n’est donc pas l’occupation mais la direction palestinienne de l’époque (Yasser Arafat).
Ce faisant, ils tentent également de délégitimer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) qu’ils ont toujours voulu marginaliser, voire faire disparaître au profit d’une simple Autorité palestinienne (qui ne serait pas représentatitive de la diaspora palestinienne).
Condoleezza Rice a remis la « feuille de route » sur le devant de la scène. Celle-ci (proposée par le « quartet », c’est-à-dire les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et l’ONU) devait, à l’origine, s’étendre de 2003 à 2005, et aboutir à la création d’un État palestinien après trois phases (la I prévoit la fin des violences, le retrait des Israéliens sur les lignes qu’ils occupaient avant le 28 septembre 2000, le gel de la colonisation et le démantèlement des colonies érigées depuis mars 2001, la II et la III approuvent la tenue d’une conférence internationale).
Pour les Palestiniens, ce n’est pas un problème en soi : ils l’ont toujours accepté. Ce n’est pas le cas d’Israël qui avait émis près de quatorze « réserves » avant de l’approuver, notamment la condition que chaque étape dépendrait de la réalisation intégrale de l’étape précédente et une supervision internationale gérée par les Américains.
Sans être la panacée, cette « feuille de route » comporte des aspects positifs comme la reconnaissance d’un État palestinien et la nécessité d’un contrôle international qui n’existait pas avec Oslo. Évidemment, il y a beaucoup de généralités sur les questions finales, et les dernières rencontres israélo-palestiniennes, comme celle de Taba en janvier 2001 (où la question des réfugiés avait pratiquement trouvé une solution), ne sont pas évoquées. Il s’agit néanmoins d’une base permettant d’avancer vite s’il y en a la volonté. Le mur construit par Ariel Sharon en Cisjordanie contrevient totalement à cette « feuille de route ».
De même, le désengagement de la bande de Gaza ne peut être considéré comme une fin en soi s’il est réalisé de manière unilatérale. Les États-Unis en sont conscients qui vont pousser Sharon à plus de concessions, sans déflorer le fond de l’objectif qui est inclus, à savoir une stabilité dans le grand Moyen-Orient, du Maroc au Pakistan, en passant par la Palestine et Israël. Autant de paramètres qui doivent inciter à un optimisme prudent quant à l’avenir dans cette région. Il reste que, pour la première fois depuis longtemps, une porte est entrebâillée et rien n’est écrit à l’avance.